De l’unité à la cristallisation de la conscience

En tant que parents, on apprend, on découvre, et bien voilà, en ce moment je suis initiée à la période rocambolesque des deux ans et des brouettes. Dernièrement, je me suis sentie complètement désemparée et dépassée par les tempêtes de mon fils, le tout mêlé à ma propre fatigue, ne me permettant pas toujours d’être à la hauteur de mes propres exigences vis-à-vis de moi-même en tant que mère. Il y a peu, une conversation m’a permis d’ouvrir un petit peu mon champ de conscience et d’aborder cette phase transitoire différemment. J’insiste sur le transitoire, car pour ne pas avoir la sensation de perdre pied, j’essaye de bien me rappeler que tout est mouvement, pour ne pas rester figée sur ces événements.

Nous sommes des êtres divins par essence. Avant d’arriver sur Terre, nous faisions partie de la conscience unifiée, le grand Tout. Nous en faisons toujours partie, bien évidemment, mais la plupart d’entre nous l’ont oublié. Et quand bien même nous le conscientisons mentalement, il reste vaste et difficile à saisir pleinement en esprit.
Passé un certain âge après la naissance, l’individu vient se singulariser, se personnifier, en s’identifiant au « moi » et en jouant le jeu de l’incarnation. Il perd alors progressivement sa conscience du divin et se raccroche à l’ego et aux différentes facettes de sa personnalité.
On peut parler de cristallisation de conscience : en entrant dans le jeu de l’existence, l’enfant découvre un univers plus restreint, avec des interdits, des limitations, des règles. L’immédiateté n’est plus. De là surviennent les colères et la difficulté à s’adapter à un moule étroit. C’est en perdant ce sentiment d’unité que l’enfant apprend la frustration et les enjeux de la patience. Et ensuite, nous passons toute notre vie d’adulte à chercher le bonheur, qui n’est en réalité qu’une soif de retour à l’unité.

Avant même l’accouchement, la gestation elle-même est déjà un début d’acte de séparation. L’âme qui s’incarne s’adapte à un corps, à une densité nouvelle, et quitte peu à peu sa famille d’âme. Dans le ventre maternel, elle goûte encore à l’unité, mais se prépare déjà à l’expérience de la distance : entre l’infini et la forme, entre le tout et le « je ». Puis vient l’accouchement, ce passage concret où l’on quitte le ventre de la mère, une première grande rupture, preuve que la vie humaine est jalonnée de séparations multiples et vastes.
Avant même la naissance, nous baignons au cœur de la conscience unifiée : il n’existe pas de frontière entre moi, le monde, le divin. Lorsque l’enfant vient au monde, cette conscience commence peu à peu à se cristalliser : l’âme accepte le jeu de la séparation pour se découvrir unique, singulière et plurielle à la fois, découvrant ainsi la vaste palette de personnalités qui la composent, oubliant ainsi son origine.

Je le vois chez mon fils : petit à petit, il dit « moi ». Il refuse, il crie, il tape, il veut faire seul. Je trouve qu’en tant que mère, il est à la fois douloureux et magnifique d’observer ce processus : c’est comme si l’étincelle divine semblait se densifier, l’esprit devient personne, et cette personne découvre le monde qui l’entoure, ce qui le frustre, l’agite et l’effraie. C’est une véritable valse.
Mais en tant que mère dans ce cyclone, j’aimerais réussir à rester dans la Présence – le Je Suis qui demeure, calme et vaste. Parfois j’y parviens : trois respirations, un mot silencieux, un espace s’ouvre. Mais souvent, la fatigue me rattrape. Je hurle. Je pleure. Je me sens coupable de briser cette paix que je tente d’enseigner.
Hier je me flagellais. Aujourd’hui, en vous écrivant ces mots, je me rappelle que moi aussi je fais partie du processus. La cristallisation ne concerne pas que l’enfant : elle me traverse, elle nous traverse tous. Je découvre mes limites, mes ombres. Chaque cri, le sien ou le mien, me rappelle que la matière est dense, que l’incarnation est exigeante.

C’est comme si la conscience unifiée se retrouvait passée à l’entonnoir, elle qui avait l’habitude de vastitude, de grandeur, de déploiement ; elle prend conscience des limitations de ce petit corps et du monde qui l’entoure maintenant. On peut parler alors de cristallisation de conscience : les choses viennent se figer, s’adapter, se limiter, d’où les colères et la difficulté à s’adapter à un moule étroit. C’est alors qu’elle doit apprendre à négocier avec de nouvelles émotions et sensations qui la débordent, lui font mal et l’éprouvent, comme apprendre la frustration et les enjeux de la patience.

Mais ce processus cache une leçon mystérieuse : l’unité originelle ne se perd pas. Elle se voile pour mieux être reconnue. Même au cœur du bruit, Je Suis. Mon fils s’individualise ; moi, j’apprends à aimer sans m’accrocher. Apprenant ainsi à l’entourer. La présence que je cherche n’est pas une perfection sans faille : c’est l’accueil radical de ce qui est, cris et larmes compris. Nous sommes les voyageurs d’un même mystère : celui de la Conscience une qui se découvre en mille visages, pour ensuite passer une partie de notre existence à rechercher cette unité perdue, comprendre que ces personnalités, ces masques que nous portons, sont à réintégrer pour faire à nouveau un.

Il est parfois dur et désarmant de voir mon petit grandir, débordé par ses propres découvertes et limites. Je sens le poids de vouloir faire au mieux pour lui, pour moi, pour tous ceux que j’aime. Et pourtant, au cœur de ce chaos, je me rappelle que l’amour vrai ne retient pas, ne contrôle pas. Il accompagne, soutient, laisse l’espace nécessaire pour que chacun puisse se déployer, se découvrir et revenir, un peu à chaque instant, vers cette unité profonde dont nous sommes tous issus.

L’Essentiel

Cristallisation de la conscience

  • De l’unité au « je » : le nourrisson vit d’abord dans une perception où tout est relié — corps, mère, monde, Source.

  • Vers deux ans, cette conscience unifiée se densifie, se “cristallise” dans une identité.

  • Ce n’est pas une perte du divin, mais une étape du jeu cosmique : l’Un se découvre multiple.

Expérimentation de la séparation

  • L’âme « joue » l’incarnation : elle endosse un ego, avec ses élans et ses résistances.

  • La colère, l’opposition, les “non !” incessants sont les signaux de cette prise de pouvoir sur l’existence.

  • Pour le parent, c’est l’invitation à aimer sans possession, à laisser l’enfant être autre.

Frustration comme terrain d’éveil

  • Chaque « non » que le monde oppose à l’enfant devient l’apprentissage du désir non exaucé.

  • Ce vécu précoce prépare plus tard à la compassion, sentir la limite chez soi et chez l’autre, la maîtrise de soi, la capacité à accueillir le réel.

Le rôle du parent dans ce contexte

  • La présence témoin consiste à incarner le calme du Je Suis au cœur de la tempête.

  • Poser des limites aimantes sans briser la volonté, mais offrir un sol sûr à cette conscience en plein ancrage.

  • Reconnaître sa propre fatigue, ses cris et ses larmes fait partie intégrante de l’expérience de l’Un qui se vit en humanité.

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Entre silence et partage : nouvelles de mon p’tit monde